Alors que la fièvre de la swiftmania s’abat sur Toronto et que la reine de la pop conclura sa tournée Eras à Vancouver en décembre prochain, les discussions abondent dans les médias par rapport aux raisons expliquant l’ampleur de son succès. Par exemple, on peut rappeler qu’à seulement 34 ans, Taylor Swift a à son actif 11 albums studio, 6 tournées mondiales, des centaines de prix et qu’elle fait partie du club sélect des milliardaires.
DANICK TROTTIER Professeur titulaire de musicologie, UQAM pour LA PRESSE - Publié le 18 novembre
Ces chiffres donnent le tournis et ne sont que la pointe de l’iceberg quand il s’agit de mettre en perspective les statistiques qui font de sa carrière un cas d’exception dans le vedettariat mondial. Or, il ne faut pas perdre de vue ce qu’est à la base Taylor Swift, à savoir une musicienne ayant gravi les échelons de l’industrie musicale à partir de 2006 avec Nashville comme port d’attache. Ce fait mérite d’être rappelé pour éviter de se perdre en conjectures lorsqu’il s’agit d’expliquer son succès.
C’est le cas, par exemple, lorsqu’on insiste trop sur l’importance de ses prises de position politique en lien avec les campagnes présidentielles aux États-Unis ou encore quand on met l’accent sur les Swifties tout en diminuant la portée musicale de son travail.
Autrement dit, il arrive trop souvent que son succès soit rapporté à un phénomène de masse dont l’épicentre se concentrerait dans la communauté formée par ses fans. C’est mal comprendre comment fonctionne le succès en musique populaire et ce qui en nourrit la flamme.
Si Taylor Swift domine la pop planétaire des dernières années, c’est aussi par un travail artistique parfaitement huilé. Le fait qu’elle ait produit 11 albums originaux en moins de 18 ans de carrière est un indicateur assez clair de la façon dont elle a pu maintenir un lien fort avec ses fans en concomitance avec une spirale ascendante que lui a permis le cumul des années. Et la variété de genres musicaux qu’elle a explorés, de la country à la pop en passant par le folk, l’electro-pop et le R & B, est aussi un indicateur du potentiel d’attachement que peut créer sa musique.
L’art de l’accroche narrative
Mais s’il me faut choisir une dimension du travail de Taylor Swift pour expliquer ses succès, je miserais avant tout sur l’un des carburants les plus puissants en musique populaire depuis les débuts de l’enregistrement : la force du storytelling. Francisée au Québec par le terme « accroche narrative », cette méthode de communication consiste en des moyens visant à accroître l’adhésion du public par rapport à ce qui est énoncé comme contenu, par exemple en mettant en valeur des sentiments comme l’empathie.
Souvent évoquée dans des domaines comme la politique, l’accroche narrative n’en reste pas moins un véhicule important de l’expression dans les arts, et particulièrement en musique populaire quand il s’agit de mettre en récit ses propres expériences et ses émotions, bref son vécu. Cette méthode ne fonctionne que dans la mesure où la sincérité du contenu mis en récit fait sens pour le public.
Taylor Swift est passée maître dans l’art de transformer l’accroche narrative en acte de sincérité. C’est le cas lorsque ses relations et difficultés amoureuses forment le tissu narratif de ses paroles (l’évocation de ses ex) ou lorsque sa capacité de surmonter l’adversité est placée au cœur de ses chansons (par exemple les attaques de Kanye West à son endroit).
L’accroche narrative constitue ainsi une recette gagnante rarement vue à ce jour. Et c’est aussi ce qui explique la force d’impact de sa tournée Eras, cette dernière se voulant une mise en récit des différentes époques de sa trajectoire artistique à travers ses 11 albums. Mettre en valeur sa persona et les tubes qui l’ont façonnée reste le but ultime.
C’est donc bel et bien Taylor Swift qui nourrit cette machine à succès en plaçant les projecteurs sur elle, ou plutôt, sur l’exceptionnalité que représenterait la mise en récit de sa vie. Reste à voir si la recette sera tout aussi gagnante dans les années à venir !
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PHOTO CHRIS YOUNG, LA PRESSE CANADIENNE - Taylor Swift a donné le premier de six spectacles à Toronto le 14 novembre.